À peine arrivé dans l’antichambre, le jeune Mam’ Jaiteh (2,08m, 17 ans) s’est déjà installé parmi les meilleurs Français de Pro B de ce début de saison ! Au sein d’une équipe de Boulogne qui a réussi ses débuts (3 victoires pour 2 défaites), l’international junior s’épanouit et commence tout juste à exprimer son énorme potentiel. Entretien avec l’intérieur boulonnais, et découverte d’un des futurs grands du basket français.
Bonjour Mam’. Revenons dans un premier temps sur tes débuts. Je crois que tu as commencé tardivement, à Malakoff, c’est ça ? Qu’est-ce qui t’a amené au basket ?
Oui, c’est ça, j’en suis à ma 5e saison de basket. Donc c’est vrai que tout est allé très vite pour moi ! En fait, auparavant, je jouais au foot, parce que mes potes y étaient aussi. Chaque année, pourtant, un de mes amis proches, Saliou, un peu comme mon grand frère, m’incitait à me mettre au basket, du fait de ma grande taille. À l’époque, je faisais moins de 2 mètres, mais je ne me sentais pas forcément à l’aise dans mon sport. En plus, je voulais réussir dans un sport, et dans le foot c’était bouché. Finalement, un jour, je suis allé voir un match de Nationale 3 à Malakoff, et j’ai pu voir des « grands », qui me ressemblaient, et un milieu dans lequel je ne me sentais pas à part. Cela m’a motivé et je me suis donc mis au basket, un sport auquel je m’étais très peu intéressé jusque-là. J’ai commencé en Minimes département, et c’est le coach Harold Daclinat qui s’est occupé de moi et m’a appris toutes les bases du basket, les règles, le jeu. L’année suivante, j’ai intégré le pôle espoir et j’ai donc évolué en Minimes France. Cette année-là encore, j’ai pu travailler avec le coach Isabelle qui a continué à m’aider à développer mes fondamentaux et les bases du jeu.
Et ensuite, l’INSEP. Comment analyses-tu les progrès que tu as accomplis durant tes années là-bas. Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Avant d’entrer au Centre Fédéral, j’ai eu peur, parce que j’étais blessé et que je n’ai pas pu passer les tests. Finalement, j’ai quand-même été pris, ce qui a été un soulagement. En tout cas, je suis arrivé un peu sur la pointe des pieds. Je me suis rendu compte que tous les autres joueurs avaient beaucoup d’avance sur moi, chacun d’eux était connu dans sa région pour ses performances, était dominateur au sein de son championnat. La première année n’a donc pas été évidente du tout. La deuxième année a été un peu mieux. Mais le déclic s’est produit durant l’été, quand j’ai participé au Championnat d’Europe U18. En fait, les deux premières années de l’INSEP m’ont appris les bases du basket. J’ai beaucoup progressé, en particulier sur la discipline, la rigueur et l’hygiène de vie. Grâce à cet été en équipe de France, j’ai pu accumuler beaucoup de confiance en vue de ma troisième année au Centre. J’ai donc passé un gros cap, et ma dernière année m’a permis de concrétiser tout ça en Nationale 1, ça s’est super bien passé. Je sais que j’apprends vite, donc chaque coach m’a apporté sur les différentes facettes.
Après cette troisième année, à ta sortie de l’INSEP, tu avais comme projet de partir en NCAA et tu as longtemps hésité à devenir pro. Qu’est-ce qui t’a fait rester ici en France ? Tu avais eu des bourses aussi je crois ?
Oui, j’ai eu beaucoup d’universités qui m’ont proposé des bourses, notamment UConn, Gonzaga, Washington, Virginia Tech. Je suis parti visiter les installations de certaines de ces facs et je me suis rendu compte que je n’étais pas encore prêt pour un tel changement, le fait de déménager, être loin de mes proches, d’autant plus à l’étranger. En plus, je ne voulais plus jouer uniquement contre des gens jeunes, de mon âge. J’avais envie de me frotter à des adultes, en match mais aussi à l’entraînement. Contrairement au Centre Fédéral, je voulais pouvoir être au contact d’adultes au jour le jour, à l’entraînement, pour apprendre à leur contact et m’endurcir. J’ai donc choisi de m’orienter vers un club professionnel en France.
À côté de ça, tu as donc aussi connu les équipes de France de jeunes… Comment as-tu vécu votre 13e place à l’Euro l’été dernier ?
En un mot, c’était la déception. Totale. Nous avions fait une préparation correcte, mais c’est le premier match de la compétition qui a tout fait chuter. Nous avons rencontré la Lettonie, adversaire largement à notre portée, mais qui jouait à domicile. Dans l’équipe, beaucoup n’avaient jamais joué dans des salles si grandes, avec un tel public. Cela nous a fait perdre, alors que l’on devait gagner ce match. Pour moi, la 13e place se joue là. Il nous manquait de l’expérience, en particulier pour les joueurs qui étaient responsabilisés. Je l’ai vécu comme un véritable traumatisme. Il nous a manqué beaucoup de vécu sur ce coup-là. Individuellement, ça a été une bonne compétition pour moi mais, collectivement, ça a été très dur. J’ai passé plusieurs jours à me remémorer tout ça quand je suis rentré après le championnat d’Europe.
Est-ce que, pour laver cet affront, tu songes à l’Euro U20 l’été prochain, avec la génération 93 ?
Oui, j’y pense parfois. Mon but est bien sûr de faire ce championnat d’Europe avec les U20. Mais je ne m’y projette pas pour le moment. Je veux faire les choses étape par étape. Je reste concentré sur ma saison avec mon club, et je me mettrais à penser à cet objectif en temps voulu. Pour le moment, mon objectif est de devenir le plus régulier possible en Pro B, et d’être capable de produire les mêmes performances. Par contre, c’est vrai que je pense que je vais commencer à y penser en rencontrant le HTV au cours de la saison, puisque Jean-Aimé Toupane est le coach des U20.
Par ailleurs, cet été, tu as aussi été choisi par Vincent Collet pour être le sparring partner de l’équipe de France A, aux côtés de ton coéquipier de l’époque Anthony Racine. Que retires-tu de cette expérience ?
Oui, j’ai pu participer à une semaine d’entraînement avec le groupe. C’était une super belle expérience ! J’ai pu découvrir des joueurs tous super bons dans leur domaine. Sur cette semaine, j’ai acquis énormément de choses. Grâce à tous ces grands joueurs, j’ai pu apprendre tous les petits détails qui font la différence. Cela change tout, et ça m’a apporté une vision différente. Par contre, ça m’a aussi permis de me rendre compte de tout le chemin qu’il me restait à faire avant de pouvoir prétendre à avoir ma place à un tel niveau.
« Je me sens libéré cette année »
Revenons maintenant à ta situation actuelle, à Boulogne. Qu’est-ce qui t’a fait venir ici ?
À ma sortie de l’INSEP, j’avais plusieurs critères : pouvoir bien travailler à l’entraînement, avec un environnement sérieux autour de moi, mais surtout du temps de jeu pour pouvoir progresser sur le terrain. En tout cas, je me sentais prêt pour jouer en Pro B. J’ai eu quelques pistes, comme Châlons-Reims ou Lille, mais celle qui a été la plus sérieuse depuis le début a été Boulogne. Ils m’ont montré leur intérêt rapidement, et ils sont venus me voir jouer avec Olivier Bourgain (le GM) ainsi que le coach et le président. Ils m’ont expliqué leur projet, et j’ai pu voir chez eux une vraie envie de me faire jouer. J’avais aussi beaucoup de propositions en Pro A, mais sans véritable temps de jeu garanti. Je me suis renseigné, notamment auprès de Fernando Raposo par exemple. Encore une fois, je voulais faire les choses étape par étape. Je suis venu visiter les installations, m’entraîner, et tout s’est bien passé. J’ai beaucoup réfléchi avec mon agent (Pascal Lévy), ma famille, mes proches et, en fait, je m’y voyais bien. J’avais quelques doutes au début, mais ils se sont vite estompés. J’ai donc signé pour deux ans, avec une clause au bout de la première année.
Et donc, au niveau de ton adaptation, comment ça se passe ?
En fait, pour moi, tout me semble plus « facile » cette année que l’an dernier. À l’INSEP, j’avais beaucoup d’attentes à satisfaire et de responsabilités à assumer. Là, il y a beaucoup de création autour de moi et, du coup, je peux me concentrer sur la finition. Je me sens libéré en tout cas cette année. Par contre, je suis très fatigué après chaque journée, parce que cette saison, contrairement à l’an dernier, je côtoie et j’affronte des adultes en match mais aussi à l’entraînement. Ils sont beaucoup plus durs que les jeunes, je prends des coups et je dois m’adapter. En dehors du terrain, c’est pour moi une véritable découverte de la vie tout seul. Même si j’ai vite franchi les échelons pour le moment, je reste un jeune de 18 ans ! J’ai quitté l’Île de France, et le cocon dans lequel je m’étais épanoui. Je dois tout faire seul et cela représente un changement considérable pour moi. Au quotidien, il faut tout concilier entre les entrainements, les différentes tâches chaque jour, les matchs et les différents déplacements. Heureusement, tout le monde dans le club est très attentif et fait tout pour me faciliter la vie. C’est génial et ça me donne encore plus envie de faire de mon mieux pour eux sur le terrain.
Dans ton club, maintenant, quels sont tes rapports avec ton coach, Germain Castano ?
En fait, que ce soit Germain ou Fabien (l’assistant coach), ils cherchent vraiment à me mettre à l’aise. Ils me responsabilisent, et me parlent de plus en plus. Germain me donne beaucoup de conseils, ça me facilite les choses. Il n’a pas eu peur de me faire jouer, et je suis donc très épanoui dans cet environnement, ça m’aide à me sentir bien. En même temps, il est aussi exigeant, il veut que je donne mon maximum. En fait, il me considère comme un joueur comme les autres, et pas juste un jeune. C’est exactement ce que je recherchais pour progresser en venant ici. À côté de ça, Olivier Bourgain m’aide beaucoup lui aussi, il est très attentif à moi, à mes besoins, à mon bien être. Il fait tout pour me faciliter les choses, et j’apprécie beaucoup cette démarche.
« L’âge n’est pas une limite »
18 ans, 5 ans de basket, première saison professionnelle… Comment cela se passe-t-il avec tes coéquipiers, cette fois-ci ?
J’ai eu la chance d’être très bien accueilli, par tout le monde. Les joueurs, les dirigeants, les bénévoles, tout le monde est très aimable avec moi et ça m’aide beaucoup. C’est quelque chose de très important pour moi, pour me sentir bien. Il faut aussi voir que l’on est une équipe jeune, avec de nombreux joueurs de moins de 25 ans. À l’entraînement, je me frotte à des forts joueurs, comme par exemple à l’intérieur, Kurt Cunningham, qui est vraiment dur et performant dans la raquette ! Au sein du groupe, je m’entends bien avec tout le monde, mais c’est surtout Zaynoul Bah qui s’est bien occupé de moi. Il me pousse, me guide, et m’aide à relativiser. Pour moi, c’est une nouvelle vie. Il y a beaucoup de nouveautés, notamment dans la vie de tous les jours. Vivre seul, aller faire les courses, bien m’alimenter, il y a beaucoup de paramètres à gérer et tout le monde s’efforce d’être là pour moi, c’est vraiment super. Il y a aussi le fait de prendre le train, l’avion, tout ça est très nouveau là encore pour moi. Mais j’ai eu la chance d’avoir une adaptation rapide, donc ça va.
Maintenant que l’on a pu découvrir ton parcours, passons à ton début de saison… Deux premiers matchs corrects, et depuis, 31, 23 et 26 d’évaluation ! Après une grosse pré-saison, t’attendais-tu à ça ? Est-ce que tu te surprends toi même finalement ?
Je ne me pose pas de questions. Pour moi, l’âge n’est pas une limite. Après, c’est sûr, ça me fait du bien, ça me motive et ça m’oblige d’être à fond pour rééditer ces performances. Mais je fais la part des choses, et j’essaie de m’améliorer dans tous les domaines. Par exemple, durant la préparation, Mamadou Sy était à l’essai chez nous et il a vécu chez moi pendant cette période. Il m’a beaucoup apporté, m’a amené son professionnalisme. Il m’a beaucoup appris alors que je redoutais un peu mon arrivée. Apprendre à se gérer, que ce soit au niveau de la nourriture comme du rythme de vie, la charge des entraînements, les déplacements, cela m’a beaucoup aidé. En plus, nous avons une équipe jeune, très soudée ; donc, là encore, cela m’a aidé à me sentir bien dans tout cet environnement. Je pense que c’est ça qui m’a permis ensuite de me libérer et de pouvoir me concentrer à fond sur le basket et sur mes performances. J’ai vraiment eu de la chance en arrivant ici, je suis tombé sur les bonnes personnes, et je pense que ça joue pour beaucoup sur mon niveau de performance actuel. En fait, dans ma tête, j’avais besoin d’un gros match pour confirmer ma pré-saison. Après, pour moi, je suis dans une position très confortable, je trouve que je suis très bien utilisé. Selon moi, je n’ai pas fait le plus dur, ce sont mes coéquipiers qui m’ont mis dans des positions idéales pour que j’arrive à bien conclure. Donc c’est plus au sein de ce collectif que j’arrive à être efficace. J’ai maintenant une grosse confiance en mes capacités, et j’avais besoin d’un déclic. Au sein du groupe, il y a une grosse confiance entre tous les joueurs et les coachs qui commence à s’installer, qui a été renforcée par les succès que l’on a pu engranger pour le moment. On doit gagner en régularité, en stabilité, afin de concrétiser pour l’équipe et de continuer à progresser, encore et toujours.
Au niveau des adversaires, par contre, tu as senti qu’ils te craignaient à la suite de tes bonnes performances, par exemple contre Nantes ?
Depuis la reprise, je m’attendais à être ciblé, à ce qu’on veuille me faire sortir de ma zone de confort. C’était justement pour cela que je voulais passer professionnel et me frotter à des adultes tout le temps, avec ces possibles conditions-là, aussi. Je m’attends donc à ce que, à chaque rencontre, les joueurs adverses veuillent me déstabiliser, à ce qu’ils m’attendent au tournant. Je m’efforce donc d’être prêt pour le combat avant chaque match, et je veux faire à chaque fois mon maximum pour ne pas refuser le défi physique, je m’attends à prendre des coups mais cela ne m’empêche pas de relativiser.
Pour terminer, tu as signé 2 ans à Boulogne… Quel est ton projet personnel pour la suite ? Quels sont tes objectifs sur le plan individuel ?
Sans prétentions, et si je veux regarder loin, mon but, c’est la NBA. Je veux continuer et progresser un maximum, dans un environnement où je me sens bien. C’est très important pour moi. Je veux devenir le plus fort possible, et ensuite voir en fonction de mon niveau ce à quoi je peux prétendre. Mais pour l’instant, je n’y pense pas trop, j’essaie de rester pleinement concentré sur ma saison, je continue à travailler. Pour la suite, l’exemple du parcours d’Evan Fournier est quelque chose qui peut bien me convenir, si je peux le réaliser, bien sûr. En tout cas, je pense tout simplement qu’il faut juste y croire.
Propos recueillis par Benjamin Bonneau, photo home : FIBA Europe / Martins Silis